Lithium découvert en Belgique: bingo? "À un moment, il faut accepter de rouvrir des mines et digérer l'idée que cela coûtera plus cher"
La découverte de lithium en Belgique est une bonne nouvelle. Mais pas sûr que l’opinion publique soutienne totalement ce genre de projets.
- Publié le 26-09-2023 à 08h25
- Mis à jour le 26-09-2023 à 08h31
Sortez les tamis, les brouettes, les pelles, et préparez-vous à fêter la nouvelle : on est sur le point d’assister à une nouvelle ruée vers l’or ! Enfin, n’exagérons rien. Rangeons les bottes de cowboy et les rêves de Western au placard un instant. On a donc trouvé une source de lithium en Belgique. C’est inédit. Comme le confiait l’entreprise Hita (province d’Anvers) au Tijd mi-septembre, elle a trouvé du lithium dans l’eau qu’elle pompe en Campine, et ce jusqu’à 100 mg/litre. Un niveau quasiment au seuil de la rentabilité avec les techniques actuelles d’extraction.
Selon Umicore, cela pourrait représenter un intérêt économique de 150 millions d’euros par an. De quoi attirer les convoitises dans la zone où cela a été découvert. Selon le média flamand, cela pourrait permettre la production de batteries électriques pour 125 000 véhicules électriques par an.
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Rappelons pour les néophytes que le lithium est le métal indispensable à la production de batteries. Que ce soit pour les smartphones, les objets connectés et, forcément, les véhicules électriques, très gourmands. Et avec l’interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035 dans l'Union européenne, inutile de dire que le lithium, sans alternatives compétitives, est le nouvel or moderne. Selon l’Agence internationale de l’Energie, la demande pour ce métal devrait être tout bonnement multipliée par 9 entre cette année et 2050.
"On estime qu’il faut 150 mg par litre pour être rentable. Ici, on tourne à 100 mg par litre environ."
"La demande en accumulateurs (batteries) est très forte. Et donc en lithium également. Le problème, c’est qu’il est présent sous des formes très diverses. Parmi les analyses effectuées par le passé, la Campine n’avait effectivement pas été repérée", commente Jean-Marc Baele, professeur à la Faculté Polytechnique de Mons et spécialisé en géologie. “Le lithium est également utilisé dans l’industrie du verre et de la céramique. Mais avec tout ce qui est batteries, on prévoit effectivement une explosion de la demande. On va donc entendre de tout. Certains diront que cette source sera insuffisante, d’autres que si. Mais c’est très difficile à déterminer. Il faudra voir au niveau de la teneur en lithium et sur la durée. Mais ce qui n’était pas rentable à ce niveau il y a dix ans le devient à présent, grâce aux nouvelles techniques. On estime qu’il faut 150 milligrammes par litre pour être rentable. Ici, on tourne à 100 milligrammes par litre environ. C’est pas mal. Autant en profiter”, poursuit-il.
”La teneur ne sera peut-être pas rentable telle quelle mais il est très difficile de se prononcer sur le potentiel en Campine. Lors de l’extraction d’or par exemple, parfois, la concentration est trop faible dans la roche pour être rentable tel quel mais un autre métal, comme le cuivre, peut être récupéré en même temps, et donc rendre le processus rentable dans son ensemble”, renchérit, optimiste, le professeur.
"L’avantage, c’est que ce genre d’extraction provoque des impacts secondaires mineurs. Cela respecte plus l’environnement que l’extraction minière."
”La technique d’extraction du lithium depuis des sites de géothermie (extrait de l’eau et non depuis des mines rocheuses, NdlR) est largement minoritaire, même s'il existe plusieurs sites de ce genre. L’avantage, c’est que ce type d’extraction provoque des impacts secondaires mineurs. Cela respecte davantage l’environnement que l’extraction minière classique. Mais il faut voir combien de temps cette concentration en lithium va perdurer”, précise également Nicolas Dupont, du service de géologie fondamentale et appliquée de l’UMons. En clair, on récupère le lithium issu de l'eau qui circule sur ces sites.
”Des projets industriels prometteurs liés à des saumures de lithium ont été annoncés en Allemagne et en Italie, sur des sites géothermiques. Mais ils restent aujourd’hui inexploités”, nuance-t-il.
Quoi qu’il en soit, l’explosion de la demande pourrait inciter les industriels à investir dans l’extraction de la ressource. Entre 2018 et 2022, le prix de la tonne de carbonate de lithium est par exemple passé de moins de 20 000 euros à près de 80 000 euros. En 2023, les répercussions de la crise des semi-conducteurs se faisaient encore sentir et la demande était encore freinée du côté des industriels (industrie automobile, technologique, etc.) et les nouveaux gisements découverts ont poussé les prix vers le bas. Mais cela devrait être temporaire, si l’on se fie aux prédictions de l’AIE par rapport à la demande.
Le problème de l’opinion publique
Dès qu’on parle métaux, extraction, il y a les considérations de rentabilité d’une telle activité en Europe, de par la faible densité des ressources et le coût de la main-d’œuvre, mais aussi des considérations d’acceptabilité. On parle souvent de l’effet “Nimby” (”Not In My Backyard”, ou “pas chez moi”). Pour faire simple : on veut bien des nouvelles technologies, mais pas des désagréments de l’extraction des métaux que cela implique.
”Dès que vous touchez au sol, il y a l’effet Nimby, en Europe. Surtout dans les endroits urbanisés. Il n’y a plus cet esprit lié à l'exploitation des ressources minières. On a oublié 'la mine'. Il y en a toujours, mais ailleurs. Ce n’est pas qu’un problème politique et environnemental”, avance Jean-Marc Baele. “Même avec une extraction sans impact ou externalités, les projets sont difficiles à faire passer. Le grand public se méfie. Il reste une image très négative des mines”, enchaîne à son tour Nicolas Dupont. Peur de la pollution environnante, de la chute des prix de l’immobilier quand on est propriétaire... autant d’arguments, justifiés ou non, qui restent en tête.
”C’est comme pour les terres rares. Nous sommes dépendants des importations. À un moment, il faut accepter de rouvrir des mines et digérer l'idée que cela coûtera plus cher. Le potentiel sera moins intéressant qu'à l'étranger, de par la densité et le coût de revient de l’exploitation, mais il faudra accepter de payer davantage”, conclut Jean-Marc Baele. Question de souveraineté et de maîtrise, tout de même, des prix en temps de crise.