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par Rédaction

La justice interdit à Reflets de publier des informations sur Altice

L’effet procès-bâillon a fonctionné mais pas de censure a postériori

Le juge déboute Altice sur une partie de ses demandes, mais nous interdit de publier de nouvelles informations et nous condamne à verser 4.500 euros au groupe de Patrick Drahi

Ce que toute la presse craignait lors de la transposition en droit français de la directive européenne sur le secret des affaires s’est concrétisé ce jeudi 6 octobre 2022. C’est Reflets.info qui ouvre le bal avec une décision du Juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre. Altice et son président Patrick Drahi étaient passablement énervés par nos articles qui détaillent les montages financiers, les dépenses colossales, l’optimisation fiscale à outrance, révélés dans des documents publiés sur Internet par le groupe de ransomware Hive. Aux motifs de la violation du secret des affaires, une société pourrait obtenir une décision de justice interdisant à un journal de traiter un sujet d’intérêt général.

C’est désormais chose faite : à compter de ce jour, il nous est interdit de publier de nouvelles informations.

Si l’on s’en tient à la rédaction de la décision, nous ne pouvons d’ailleurs plus exercer notre métier du tout : « ordonnons à la société Rebuild.sh de ne pas publier sur le site de son journal en ligne « reflets.info » de nouvelles informations. »

D’informations sur quoi ? Mystère ? Gageons qu’il ne s’agit pas d'une interdiction totale, sur tous les sujets et que cela se cantonne aux informations contenues dans les documents publiés par le groupe Hive. Mais rien n'est moins sûr. Et si nous trouvions une autre source ? Cette décision au très intense parfum de censure légale est plus qu’étrange…

Le juge estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu à référé sur les autres demandes de la société Altice. En clair, nous ne sommes pas censurés sur le passé… mais sur l’avenir ! Ce qui laisse présager des futures et potentielles entraves à l’encontre de l’ensemble de la presse. Ainsi, ce qui a été publié ne violait pas le secret des affaires, mais ce que nous pourrions publier, que cela le viole ou pas, ne doit pas être porté à la connaissance du public, le juge estimant que les questions d'intérêt général ne sont pas de sa compétence ? On ne peut pas faire mieux en terme d'interdiction et de censure indiscriminées.

Enfin, le juge nous condamne à payer 1.500 euros de frais aux trois sociétés demanderesses au titre de l'article 873 du Code de procédure civile.

L’effet voulu, c’est à dire un procès-bâillon pour faire taire les journalistes est atteint. D’une part, ce procès nous coûte une fortune au regard de notre chiffre d’affaires annuel. D’autre part, nous ne pouvons plus exercer notre métier : informer les citoyens à propos de sujets d’intérêt général, afin qu’ils puissent exercer leur libre arbitre. Quid du Monde qui a déjà publié un article basé sur les documents publiés sur Internet par le groupe Hive ? Peuvent-ils continuer d’écrire ?

Et l’ensemble de la Presse pourra-t-elle encore publier des informations relatives à Altice, même obtenues via une autre source, dès lors qu’elles sont aussi présentes dans les documents exfiltrés par Hive ?

Cette première décision du nouveau genre, teintée de demi-mesures, souvent vagues et imprécises, laisse entendre que Reflets aurait en quelque sorte pergagné, ou gagnédu cette procédure bâillon. Ce n’est pas le cas. Premier point, nous ne pouvons plus publier la moindre information sur Altice qui serait basée sur les documents diffusés par Hive et que nous n’aurions pas déjà traitée. C’est une censure a priori et généralisée, dont on ignore en outre quelle serait la saction d'une telle publication si elle intervenait. En dépit d'un verdict brouillon, ce procès, le premier d’une longue série sur ce sujet, nous coûte par ailleurs très cher : 10.000 euros. Le chiffre d’affaires annuel généré par Reflets.info est d’environ 40.000 euros. C’est donc un quart de notre chiffre qui s’est d’ores-et-déjà envolé en fumée, sans compter la suite.

Pour mémoire, la société Altice demandait au juge :

  • d’ordonner à la société Rebuild.sh de supprimer sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance les articles suivants :

  • Ordonner à la société Rebuild.sh la suppression des données issues du piratage qui sont en sa possession

  • Interdire à la société Rebuild.sh la publication de tout contenu se rapportant aux données piratées

  • Interdire à la société Rebuild.sh d’accéder aux données piratées par le groupe Hive ou de les télécharger

  • Condamner la société Rebuild.sh à payer à chacune des demanderesses la somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

  • Condamner la société Rebuild.sh aux dépens.

Reflets.info va évidemment interjeter appel de cette décision.

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