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Aéronautique

Spatial : la France fait (enfin) le grand saut du lanceur réutilisable

ArianeGroup va développer un mini-lanceur réutilisable, qui sera assemblé à Vernon (Eure), a annoncé Bruno Le Maire. L’entrée en service de ce lanceur, basé sur le démonstrateur Themis, est prévue en 2026.

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Le futur lanceur réutilisable d'ArianeGroup, nom de code Maïa Space

Le futur lanceur réutilisable d'ArianeGroup, nom de code Maïa Space.

© CNES/REAL DREAM, 2021

Et la France mit sur orbite son lanceur réutilisable... Après des années de doutes, d’atermoiements, d’errements stratégiques, parfois même de déni de la puissance publique, Bruno Le Maire, en déplacement sur le site ArianeGroup de Vernon (Eure) pour présenter la nouvelle stratégie spatiale française, a annoncé lundi 6 décembre le lancement d’un projet français de mini-lanceur réutilisable. Ce projet, baptisé MaiaSpace, est en fait lancé par ArianeGroup, la coentreprise d’Airbus et Safran déjà maître d’œuvre des lanceurs Ariane 5 et Ariane 6. "L'Europe a manqué le virage du lanceur réutilisable, nous n'y avons pas cru, nous avons pris du retard par rapport à nos partenaires américains qui ont développé SpaceX et Falcon 9, a indiqué Bruno Le Maire. Nous allons rattraper un mauvais choix stratégique pris il y a dix ans, pour qu’enfin la France et l’Europe aient un lanceur réutilisable."

Reprenant l’objectif donné le 12 octobre par Emmanuel Macron lors de la présentation du plan France 2030, Bruno Le Maire a fixé un calendrier ultra-ambitieux au programme. "Le premier tir doit avoir lieu dans quatre ans, en 2026, a indiqué le ministre de l’Economie. Je sais que le calendrier est court, mais si on ne se met pas un peu l’épée dans les reins, on n’arrive à rien." L’industrialisation du lanceur sera faite à Vernon, avec une centaine d’emplois supplémentaires, selon Bruno Le Maire. Elle relancera l’emploi sur un site qui avait beaucoup dégraissé ces dernières années, et qui va voir le départ prochain de l’assemblage du moteur Vinci vers le site allemand de Lampoldshausen.

Themis testé en 2024 à Kourou

En quoi va consister le programme MaiaSpace? Si le ministre n’a donné aucune précision, on peut en donner les grandes lignes. Le projet va être confié à une filiale, baptisée MaiaSpace, dont le capital pourrait, selon nos informations, être ouvert à d'autres acteurs. Le lanceur lui-même sera basé sur le démonstrateur d’étage réutilisable Themis, qui sera équipé du tout nouveau moteur à bas coûts et réutilisable Prometheus. Le programme, développé par ArianeGroup à Vernon avec le soutien du CNES, est déjà bien avancé: le premier moteur Prometheus est déjà assemblé. Les premiers tests des réservoirs d’oxygène liquide et de méthane ont débuté ces derniers jours à Vernon. La prochaine étape sera les tests au sol de Prometheus, toujours sur le site normand, sur une version de Themis dite Themis 0. Une version de Themis à un moteur (Themis 1) doit ensuite effectuer des tests de décollage et atterrissage à Kiruna (Suède) en 2023. Des essais d'une version plus puissante, à trois moteurs (Themis 3) sont envisagés à Kourou en 2024.

Le démonstrateur d'étage réutilisable Themis, d'ArianeGroup (photo CNES)

Pour convertir cet étage en véritable lanceur, il faudra probablement développer un second étage qui intégrera les charges utiles (satellites) à lancer. "Ce n’est pas très compliqué, moins en tout cas qu’un étage qui réatterrit", assure un pilier du spatial français. Ce deuxième étage pourrait également être équipé du moteur Prometheus, ce qui permettrait des effets d’échelle intéressants. Le principal défi sera de tout boucler en 2026, ce qui ne laisse aucune marge de sécurité.

Bruno Le Maire avait d’autres annonces dans sa besace. Là où la France finançait essentiellement les grands groupes (ArianeGroup, Safran, Airbus, Thales), les deux tiers du volet spatial du plan France 2030 (1,5 milliard d'euros) seront réservés aux PME et start-up. Un appel à projets sera lancé avant la fin de l’année pour le développement de micro-lanceurs réutilisables, des engins plus petits que le lanceur d’ArianeGroup. Le patron de Bercy a explicitement invité les acteurs français du segment (Venture Orbital Systems, HyprSpace et Strato Space System) à participer. "Nous leur apporterons un soutien technique et nous garantirons les premières commandes de ces micro-lanceurs", assure Bruno Le Maire. 80 millions d’euros seront également investis pour moderniser le site de Kourou, et adapter l’ancien pas de tir de Diamant en site de lancement de micro-lanceurs.

Les réservoirs de l'étage Themis en tests sur le site ArianeGroup de Vernon (Eure)

Soutien à Ariane 6

Et Ariane 6 dans tout ça? Bruno Le Maire a réitéré sa totale confiance dans le futur lanceur lourd européen, dont le premier vol est prévu en 2022. "Ariane 6 est la bonne solution, a martelé Bruno Le Maire devant les salariés d’ArianeGroup. Je compte sur vous pour couper un peu le sifflet à ceux qui ont estimé, un peu rapidement, qu’Ariane 6 était dépassée." L’accord franco-allemand signé à l’été, et confirmé par un accord de l’Agence spatiale européenne, garantit quatre lancements institutionnels par an à Ariane 6. Pour arriver aux 7 lancements, qui permettent d’équilibrer le modèle économique du lanceur, il faut donc trouver trois lancements commerciaux par an. "Ma conviction profonde, c’est que nous n’aurons aucun mal à trouver ces trois lancements privés, estime Bruno Le Maire. Je suis même convaincu que nous pourrons faire mieux."

L’Europe spatiale revient de loin, estime le ministre de l’Economie. Depuis un an, le Vieux continent se déchirait sur le sujet des lanceurs, avec des visions opposées chez les trois grands partenaires d’Ariane 6 (France, Allemagne, Italie). "Nous étions partis sur le chemin de la division et de la rivalité entre nations européennes, où chacun, dans son coin, voulait soit torpiller Ariane 6, soit ouvrir une concurrence pour que chaque pays ait son propre lanceur, assure Bruno Le Maire. C’était suicidaire."

L’Allemagne, raconte le ministre, se rêvait en maître d’œuvre d’une rivale d’Ariane 6. "Notre partenaire allemand, parce qu’il estimait que nous étions dans une logique trop institutionnelle et pas assez compétitive, envisageait de développer son propre lanceur, rival d’Ariane 6, explique "BLM". Il avait pour cela deux compagnies remarquables, Isar Aerospace et OHB. Il a fallu leur montrer que nous étions prêts à changer de logique, en ouvrant la compétition à des acteurs privés". Finalement, l’Allemagne continuera de soutenir Ariane 6, conjointement avec la France et l’Italie, à hauteur de 140 millions d’euros par an.

Vue d'artiste du lanceur Spectrum d'Isar Aerospace, sur le pas de tir d'Andoya en Norvège (photo Isar Aerospace)

Vernon conforté

La France a ensuite dû trouver un accord avec l’Italie. "Les négociations avec l'Italie ont été tout aussi difficiles et intenses qu’avec l’Allemagne, a indiqué le ministre de l’Economie. Il a fallu convaincre nos partenaires italiens que ce n’était pas une bonne idée de développer un moteur concurrent de Prometheus, que ce dernier était déjà bien avancé, qu’il représente des coûts considérables, que nous n’avions pas les moyens de nous diviser sur l’aventure spatiale. Nous avons conclu un accord pour coopérer sur la propulsion liquide, sur la base d’une approche complémentaire à Prometheus." En clair, Rome sera pleinement intégrée au développement des futurs moteurs réutilisables plus petits que Prometheus, qui pourraient notamment équiper un futur étage supérieur d’une Ariane Next réutilisable.

En échange, l’Italie a accepté le transfert à Vernon de la fabrication des turbopompes des moteurs Vinci et Vulcain, des éléments essentiels des moteurs-fusées, ce qui compensera à peu près le départ du moteur Vinci en Allemagne. De quoi garantir l’avenir du site normand, estime Bruno Le Maire. "Vinci s’en va, mais Vulcain reste, Prometheus arrive, et les turbopompes reviennent", résume-t-il. De 830 emplois actuellement, Vernon devrait remonter à près de 1.000 salariés en 2025.

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