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Le site Camerci.fr veut faciliter l’accès des Parisiens aux images des caméras de surveillance les ayant filmés

Largement méconnue, une disposition législative permet aux citoyens de consulter les images des caméras ayant capté leur déambulation dans l’espace public. Une plateforme propose désormais d’en faire la demande en quelques clics. Mais face à l’engouement, la préfecture de police exige que la démarche passe par le formulaire classique.
par Vincent Coquaz
publié le 6 mars 2023 à 11h05

C’est un point ignoré de nombreux citoyens. N’importe qui peut demander à la préfecture de police de Paris, qui gère le parc de caméras de vidéosurveillance de la capitale, les images de sa déambulation dans les rues parisiennes. Et ce, conformément à l’article L253-5 du code de la sécurité intérieure.

Reste à savoir quelles caméras vous ont potentiellement filmé et comment joindre la préfecture de police. Un outil créé le 25 février, et qui a fait l’objet de nombreux partages sur les réseaux sociaux ces derniers jours, se propose de vous mâcher le travail : Camerci.fr. Il suffit d’indiquer sur une carte l’endroit où vous vous trouviez, et le site génère automatiquement un mail avec les coordonnées des caméras les plus proches (parmi les quelque 1 300 qu’il a pour l’instant recensées dans la capitale), et un texte de demande complète. Ne reste plus, en principe, qu’à cliquer sur envoyer pour que le mail parte à la préfecture de police.

CheckNews a testé le dispositif, et la préfecture de police a répondu (particulièrement rapidement) au mail de notre journaliste (tout comme à d’autres personnes, selon des témoignages sur les réseaux sociaux) : «Nous donnons une suite favorable à votre demande. Votre droit d’accès vous permet de visionner une séquence de 15 minutes», nous a indiqué l’institution, sous deux heures, lundi 27 février. Mais pour cela, il faut «communiquer une copie d’une pièce d’identité» et «prendre rendez-vous». La préfecture de police estime en effet que le droit d’accès aux images «ne permet ni la remise ou la copie d’images ni l’extraction de photographies», mais seulement leur consultation, et ce dans ses locaux.

Pour une demande effectuée le lundi, notre journaliste a été en mesure de consulter les images dans les locaux de la préfecture de police mercredi, sur présentation de la carte d’identité et après avoir signé une charte l’engageant à ne prendre de photo. Deux vidéos de 15 minutes, correspondant aux deux caméras l’ayant potentiellement filmé, lui ont été présentées.

«Traitement préalable»

A noter que – conséquence du lancement du site ? – la préfecture de police a semble-t-il fait marche arrière en milieu de semaine dernière, ne répondant désormais plus aux demandes faites uniquement par mail, selon plusieurs témoignages. Elle exige désormais des demandeurs qu’ils passent en plus par son propre formulaire (beaucoup plus détaillé et donc plus long à remplir) pour faire valoir leur droit d’accès.

Quelle que soit la procédure, cet accès pose nécessairement une question : comment éviter qu’une personne cherche à consulter des images qui ne la concernent pas ? Et notamment à des fins malveillantes : on peut en effet imaginer qu’une personne cherche à en «espionner» une autre, en cherchant à déterminer si elle se trouvait ou non à un endroit donné, à une date et une heure précise.

Contactée par CheckNews, la préfecture de police indique que c’est pour cette raison qu’une pièce d’identité est demandée : «La personne demandant un accès aux vidéos, consultables seulement sur site, donc dans une enceinte de police, doit présenter un document supportant une photographie qui permet de s’assurer qu’elle est bien concernée par la vidéo avant la consultation effective.» Dans le cas de notre test, notre journaliste a toutefois pu consulter des images… sans être en mesure de s’y voir.

Les images bénéficient par ailleurs d’un «traitement préalable, et notamment un floutage des personnes pour préserver le droit à la vie privée des tiers». A noter toutefois que comme le floutage est en grande partie réalisé automatiquement, il est imparfait et on distingue de nombreuses personnes, qui peuvent être facilement reconnaissables notamment du fait de leurs vêtements.

«Faire connaître la disposition législative»

N’imaginez pas de toute façon faire des demandes intempestives pour consulter des images. Comme le souligne l’avocat spécialiste des questions numériques Alexandre Archambault, le juge administratif a par exemple rappelé que «l’accès aux enregistrements qui la concernent par une personne ne peut se faire qu’à la condition qu’elle présente le caractère d’une personne intéressée». Par ailleurs, «la répétition et le caractère obsessionnel de demandes» d’accès peuvent justifier des refus.

Contacté par CheckNews, le développeur David Libeau, qui a conçu le site «en un week-end», explique que l’idée est venue de sa propre expérience : «Dans l’une de mes explorations du droit, je suis tombé par hasard sur l’article [L253-5] du code de la sécurité intérieure. J’ai fait le test d’exercer mon droit d’accès : c’était compliqué [le formulaire ne permet de faire la demande que pour une seule caméra à la fois, ndlr] et la préfecture de police demandait beaucoup trop d’infos perso : raison de la demande, s’il y avait des procédures judiciaires engagées, copie de carte d’identité… Au final la caméra que je demandais était off à cause de travaux. Mais je me suis dit qu’il était simple de faire cet outil.» Selon lui, le sujet est particulièrement d’actualité avec «les Jeux olympiques 2024 qui arrivent [à Paris] et des nouvelles dispositions en débat pour de la surveillance algorithmique via caméra».

«Il y a plusieurs objectifs, poursuit le développeur, très en pointe sur la protection des données personnelles. Déjà de faire connaître cette disposition législative, [mais aussi de] montrer le nombre de caméras sur une carte. Si ça peut faire bouger les choses sur les pratiques…»

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