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Christophe Béchu : « Nous devons préparer notre pays à une évolution des températures de +4 degrés »

EXCLUSIF - Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, dévoile la trajectoire d’adaptation du pays au réchauffement climatique. Dans un document rendu public par le JDD, le gouvernement table sur deux scénarios : +2 degrés en 2100 dans l’Hexagone, et +4 degrés à la même date.

Marianne Enault , Mis à jour le
Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le 16 mai 2023.
Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le 16 mai 2023. Hans Lucas via AFP / © Stephane Mouchmouche / Hans Lucas

Le document d’adaptation que vous allez révéler mardi évoque deux scénarios : un réchauffement à +2 degrés en 2100, un autre à +4 degrés. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
À +2 degrés, le risque de sécheresse est multiplié par deux par rapport à 1990 ; à +4 degrés, le risque est multiplié par cinq. Aujourd’hui, on constate 9 % de perte d’enneigement ; à +4 degrés, c’est 25 % de perte d’enneigement et la disparition des glaciers français. C’est aussi jusqu’à deux mois de canicule, et 40 à 50 nuits tropicales par an, 90 nuits dans les zones les plus exposées. Il y a aussi des conséquences en matière de fréquence des cyclones, de montée des eaux, d’érosion du trait de côte, etc.

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Vous semblez privilégier le scénario d’un réchauffement à +4 degrés, pourquoi ?
Si on se prépare à une France à +4 degrés et qu’à la fin on a un réchauffement climatique qui n’est que de +2 degrés, c’est moins grave que si on se prépare à une France à +2 degrés et qu’on finit à une France à +4 degrés. On a qualifié le premier scénario d’optimiste et le second de pessimiste, mais en réalité c’est plutôt de scénario réaliste qu’il faut parler. C’est ce que confirment les derniers travaux des experts du Giec : si tous les États du monde n’accentuent pas leurs efforts pour diminuer encore leurs émissions, on se dirige vers un réchauffement de +2,8 et +3,2 degrés en 2100 en moyenne au niveau mondial, ce qui correspond à+4 degrés pour la France car l’Europe se réchauffe plus vite.

Pourquoi avoir décidé de fixer une trajectoire de réchauffement pour la France ?
Parce que c’est mon rôle en tant que ministre de la Transition écologique de protéger nos concitoyens face aux conséquences à venir du changement climatique. La température à laquelle on devrait se préparer, dans un monde idéal où tous les États respectent leurs engagements, est celle issue de l’accord de Paris, soit +1,5 degré à l’échelle mondiale et donc +2 degrés pour la France. Or, les experts nous disent que le monde n’est pas sur cette trajectoire : nous sommes sur une trajectoire autour de +3 degrés au niveau mondial à l’horizon 2100, et donc +4 degrés d’augmentation des températures pour la France. On a besoin d’une référence commune, qui nous permet à tous d’agir dans la même direction et d’anticiper les risques.

Sur ce sujet, doit-on faire un travail de pédagogie, pour expliquer que s’adapter au changement climatique ce n’est pas renoncer à lutter contre ?
Les deux vont de pair : nous devons collectivement poursuivre nos efforts pour baisser nos émissions et atteindre le seuil de 55 % de baisse en 2030 par rapport à 1990 puis la neutralité carbone d’ici à 2050. C’est l’objet de la planification écologique pilotée par la Première ministre. Et c’est aussi pour cela que la France continue son action diplomatique pour que tous les autres pays fassent leur part de l’effort. Mais nous devons aussi regarder dans les yeux le réchauffement climatique qui est déjà là. Nous devons nous préparer à ce qui va arriver si le monde ne réagit pas pour baisser plus fort les émissions de CO2. Car chaque dixième de degré compte. Nous devons assumer de préparer notre pays à une évolution des températures aux alentours de 4 degrés. Ce n’est pas du défaitisme climatique, c’est de la lucidité. Nous devons à nos concitoyens de ne pas être dans une forme de déni climatique.

Pourquoi est-ce compliqué à faire entendre ?
C’est compliqué parce que ça prend plusieurs phrases et que ça n’entre pas dans un bandeau qui défile à l’écran ou en 140 signes sur un réseau social. Mais il faut comprendre que le réchauffement climatique est déjà là : huit des années les plus chaudes jamais enregistrées ont été constatées depuis 2010. 2022 est l’année la plus chaude jamais enregistrée. Et l’été 2022 est encore dans toutes les mémoires : beaucoup l’ont vécu comme une intrusion brutale dans nos vies de quelque chose qu’ils n’imaginaient arriver que dans la seconde partie du siècle. Ce besoin d’adaptation est rendu plus visible par ces épisodes difficiles. Pendant longtemps, l’adaptation était le parent pauvre des politiques climatiques car on craignait que le fait de parler d’adaptation ne soit interprété comme un renoncement. Mais nous ne pouvons pas rester avec cette crainte. Il faut affronter la réalité de ce que nous vivons déjà et ce qui est en train de se produire. Le document que nous allons dévoiler mardi est à la fois un outil d’accélération de la prise de conscience et la base d’un référentiel commun à tous des risques auxquels se préparer. C’est aussi un moyen d’accentuer les politiques de réduction des émissions, en prenant conscience de ce qui va se passer si on n’agit pas plus vite. L’urgence écologique n’est pas un slogan.

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De quelle façon ce document s’insère dans la politique d’adaptation de la France ?
Nous allons dévoiler mardi cette trajectoire de réchauffement de référence pour la mettre en concertation et permettre à chaque acteur – collectivités territoriales, entreprises, administrations, particuliers – de s’en saisir et de participer au débat. Celui-ci va durer jusqu’à la fin de l’été. Puis, à l’automne, nous dévoilerons le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, qui permettra d’expliquer comment, dans tous domaines, notre pays s’adapte à des températures de +4 degrés. Nous travaillons sur trois chantiers : d’abord, les services et infrastructures publics : il faut que nos routes, notre réseau ferré, nos infrastructures de télécommunication, etc., soient résilients à la nouvelle donne climatique.
Le deuxième chantier porte sur les collectivités territoriales ; nous travaillons sur la façon de les aider à faire face à ces conséquences, en encourageant, par exemple les îlots de fraîcheur, la renaturation, la mise à disposition des fontaines, etc. Enfin, le troisième chantier est consacré aux acteurs économiques : tous les secteurs, du tourisme à l’industrie, doivent progressivement s’adapter. J’ajoute un chantier transversal : c’est la préservation et la résilience des écosystèmes, la biodiversité au sens large qui est notre meilleur bouclier contre les conséquences du changement climatique, et les conséquences d’un monde à +4 degrés pour la faune et la flore. Il faut se projeter dans une France à +4 degrés et rehausser nos niveaux de protection.

Comment ?
Il faut éviter la mal-adaptation, qui consiste à faire des choses dont on pense qu’elles seront utiles mais qui en réalité sont insuffisantes voire néfastes et qu’il faudra refaire, réinvestir ; cela fera gaspiller des ressources précieuses dont on a besoin pour la transition écologique. Puis c’est une façon de rendre concrètes les conséquences du dérèglement climatiques. Même si dans notre pays il y a peu de climatosceptiques, on entend encore dire, par exemple, qu’il n’y a pas de sécheresse puisqu’il a plu la semaine dernière. Il existe une difficulté à mesurer que le dérèglement climatique, ce n’est pas un degré de plus, mais des conséquences néfastes pour l’ensemble des organismes vivants et de nos sociétés en général. Mais nous n’allons pas attendre l’automne pour agir, car en réalité le travail d’adaptation a déjà commencé.

À quoi faites-vous référence ?
Le plan eau présenté fin mars est totalement tourné vers la perspective d’une France avec moins d’eau disponible, qui est une conséquence directe et immédiate du dérèglement climatique. L’augmentation des températures va modifier le régime des pluies et augmenter l’évapotranspiration des végétaux, qui vont absorber davantage d’eau et en laisser moins de disponible pour les cours d’eau et les activités humaines. La prochaine étape concrète sera la présentation, dans quelques jours, du plan de gestion des vagues de chaleur.

De quoi s’agit-il ?
Il faut prendre des mesures nationales pour faire face aux périodes de canicule. On va mettre en place des fiches techniques claires qui diront quoi faire dans tous les domaines, en fonction de différents cas pratiques à destination des préfets, des chefs d’entreprise, des organisateurs de manifestations culturelles. Comment réagit-on quand on atteint des températures extrêmes ? Quels travaux doit-on lancer dans les écoles, les crèches, etc. ? Après la canicule de 2003, on a rendu obligatoires la présence d’une pièce fraîche dans les Ehpad, mais on s’est arrêté aux Ehpad. On a là un angle mort de l’adaptation dont on va se saisir à bras-le-corps avec ce plan national. Il faut une stratégie pour les crèches et les écoles, car les bébés et les jeunes enfants sont aussi un public fragile. De quelle façon les règles changent-elles sur les chantiers ? Il faut aussi réfléchir à l’organisation des examens, des activités sportives, des festivals, des manifestations culturelles. Il faut une évolution réglementaire pour préserver ces activités sans mettre les gens en danger, avec une doctrine nationale plutôt qu’un bricolage d’un territoire à l’autre. Ce plan sera effectif dès cet été. Nous savons que nous devons pouvoir être prêts à un été chaud, avec des premières vagues de chaleur qui peuvent survenir dès juin.

Quelle sera la valeur de ce plan national d’adaptation au changement climatique ?
Ce ne sera pas juste un recueil de bonnes intentions. Il contiendra des mesures concrètes d’évolutions réglementaires – sur des référentiels techniques, par exemple –, de conseils et de recommandations pour tous les acteurs. Sur les aspects réglementaires, il s’agira, pour les infrastructures de transports ou de télécommunications, par exemple, d’intégrer ces trajectoires de réchauffement de façon obligatoire. Cette norme s’appliquera à tous les gestionnaires. Les conseils et recommandations s’adresseront aux acteurs privés : stations de ski, entreprises, etc. Il y aura aussi des moyens d’action et d’accompagnement. La nouveauté budgétaire et climatique de cette année 2023 est la création d’un Fonds vert de 2 milliards d’euros mis à disposition des collectivités pour soutenir des investissements pour baisser les émissions de CO2, préserver la biodiversité ou s’adapter au dérèglement climatique. Nous avons déjà reçu 11 000 dossiers de demande de subvention. Ce fonds accompagne des milliers de villes dans des opérations de plantations d’arbres, de déminéralisation de cours d’école, de projets pour lutter contre l’érosion du trait de côte. La montée du niveau de la mer va impacter des centaines de kilomètres, et 975 communes dont on sait qu’elles vont se retrouver avec des zones gagnées par l’eau. On a une première poche de soutien budgétaire avec ce fonds, dont la Première ministre a annoncé la pérennisation dans les années qui viennent. Il permettra aussi de soutenir les évolutions recommandées ou rendues obligatoires par cette trajectoire de réchauffement de référence.

De quelle façon ce plan sera-t-il déployé au niveau local ?
Nous travaillons à un outil de prévision territoriale des conséquences d’une France à +4 degrés. Le portail Drias de Météo-France va être amélioré et approfondi. Il permet déjà d’avoir, sur une échelle de 8 kilomètres sur 8, des prévisions géolocalisées de ce qui est susceptible de se passer pour aider les élus à prendre des décisions, par exemple pour la gestion de l’eau et des nappes phréatiques. On va intégrer à cet outil la trajectoire d’une France à +4 degrés. Il permettra ainsi de calculer, en fonction de cette trajectoire, la pertinence de certains investissements ou d’évaluer les risques associés à certaines pratiques. Il y aura aussi un volet outre-mer, car les conséquences du changement climatique n’y sont pas les mêmes que dans l’Hexagone.

Ces données existent mais sont parfois complexes à interpréter. Les élus vont-ils être accompagnés ?
Nous lançons en juin une offre de formation à destination de tous les maires de France, dans chaque département et dans chaque préfecture. Ces formations seront localisées : elles seront dispensées en fonction de chaque situation départementale, et prendront en compte la réalité du dérèglement climatique dans chaque zone et ce à quoi il faut se préparer. Nous avons testé ce dispositif dans l’Indre, et nous avons des retours très positifs des maires. C’est une façon de rendre les outils accessibles tout en conservant la rigueur scientifique. On ne peut pas transformer chaque élu ou chaque Français en climatologue ; il faut des outils simplifiés.

Tous les secteurs seront touchés, et notamment l’assurance. Peut-on craindre l’apparition de « zones blanches » où certains biens ou activités ne seront plus assurés ?
L’augmentation des températures s’accompagne de l’augmentation des risques, avec des événements climatiques extrêmes à des intervalles rapprochés. Cela va bouleverser les logiques assurantielles et notre approche de la notion de catastrophe naturelle. Quand vous avez des épisodes climatiques qui, avant, étaient centenaires mais se produisent dorénavant tous les dix ans, cela impacte évidemment les modèles d’assurance ; nous y travaillons avec Bruno Le Maire, à la demande du président de la République et de la Première ministre. C’est aussi le cas pour les retraits-gonflements des argiles qui affectent les maisons et les immeubles. Sur ce sujet, nous avons en février pris une ordonnance qui adapte les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour les communes touchées, notamment en introduisant la prise en compte d’une succession de sécheresses. Cela permettra de mieux indemniser les désordres progressifs sur les bâtiments.

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