Menu
Libération
Data du jour

Les cryptomonnaies, si gourmandes en électricité

Data du jourdossier
La consommation croissante d’électricité pour faire tourner les blockchains, sur lesquelles la cybercriminalité prolifère, a un impact environnemental et géopolitique de plus en plus préoccupant.
par Savinien de Rivet et Alice Clair
publié le 8 février 2022 à 16h13

Une quantité croissante d’électricité est nécessaire pour faire tourner les blockchains, sur lesquelles sont enregistrées les transactions des cryptomonnaies. Rien que pour le bitcoin, l’électricité nécessaire est comparable à la totalité de la consommation de la Thaïlande, soit la moitié de l’électricité française, selon les calculs de la plate-forme Digiconomist (1). Une seule transaction en bitcoin consommerait l’équivalent du visionnage de 170 000 heures de vidéos sur YouTube.

Ce gaspillage de ressources avait conduit la Chine, en juin dernier, à bannir toute opération de minage de cryptomonnaie sur son sol. Les mineurs ont dû trouver refuge ailleurs. Notamment au Kazakhstan et en Iran, qui les ont tout d’abord accueillis à bras ouverts, espérant bénéficier de précieuses devises. Le Kazakhstan dispose de réserves de charbon très importantes et de capacités de production d’électricité excédentaires. L’Iran a pour sa part grandement besoin de devises et produit la quasi-totalité de son électricité à partir de sources fossiles (pétrole et gaz).

Coupures d’électricité et émeutes

Dans les deux pays, le minage de cryptomonnaie a été tellement gourmand en électricité que de nombreuses coupures ont eu lieu. Au Kazakhstan, ces coupures ont grandement contribué aux émeutes de janvier, violemment réprimées, qui ont causé la mort d’au moins 225 personnes et ont conduit le pays à se déconnecter provisoirement de l’Internet mondial. En Iran également, les coupures ont provoqué des émeutes et le minage y a été interdit au moins jusqu’en mars prochain.

La raison de ce gaspillage énergétique ? Le protocole de la «proof of work», qui exige, pour certifier les transactions de manière décentralisée, un gaspillage croissant d’énergie. Ce système est utilisé dans la quasi-totalité des quelques centaines de blockchains existantes. Le bitcoin est de loin la plus gourmande en énergie, mais il en existe d’autres dont la consommation est en train de devenir tout aussi problématique. Par exemple l’ethereum, dont la consommation est en train de rejoindre celle du bitcoin.

Autre gros point noir des cryptomonnaies : le gaspillage de ressources matérielles. Sachant que chaque blockchain est répliquée des milliers de fois et que le minage nécessite une très grande quantité de calculs, il y a besoin d’une très importante quantité de composants électroniques : ordinateurs, disques durs, processeurs, cartes graphiques. Ce qui est en partie responsable de l’actuelle crise des semi-conducteurs et de la pénurie de cartes graphiques. Et génère une quantité croissante de déchets électroniques. En Europe, le vice-président de l’Autorité européenne des marchés financiers avait déclaré en janvier qu’il souhaitait interdire le minage basé sur la «proof of work», ce protocole «pourrait consommer autant d’énergie que l’Italie et l’Arabie saoudite réunies d’ici à 2024, s’il n’est pas maîtrisé».

Vecteur de cybercriminalité

Les frais engendrés par une simple transaction (150 euros en moyenne depuis septembre pour l’Ethereum) et les très longs délais de validation ont rendu les cryptomonnaies complètement impropres à remplacer toute forme de monnaie. D’autant plus que le cours peut fluctuer du simple au double en une journée. Et l’absence de toute régulation facilite grandement les manipulations de cours. Sans parler des problèmes de sécurité et de vols. La blockchain elle-même peut difficilement être attaquée, mais ce n’est pas le cas pour les portefeuilles virtuels et les plates-formes d’échange. Le vol est très fréquent et sans aucun recours : sur une blockchain, toute transaction est irréversible.

L’essor des cryptomonnaies, permettant le transfert de montants importants de manière opaque, a aussi provoqué un essor des rançongiciels, cyberattaques dans le but d’extorquer une rançon, dont le secteur hospitalier a été particulièrement victime. Cette cybercriminalité a généralement des motifs crapuleux, mais peut parfois être organisée par certains états. Selon un rapport des Nations unies, le programme de missile nord coréen aurait en grande partie été financé grâce à de la cryptomonnaie volée.

(1) Il s’agit de l’estimation moyenne de Digiconomist, qui calcule la consommation d’électricité en se basant sur les profits des mineurs, et en estimant les coûts de minage et le prix de l’électricité. D’autres analystes donnent des chiffres légèrement différents. Le Cambridge consumption index, de l’université de Cambridge, donne une valeur moyenne légèrement plus faible, mais un ordre de grandeur similaire.
Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique