Enquête

Ces pubs sur Google peuvent ruiner vos économies

Les arnaques financières pullulent dans les publicités et sur le fil d’actualités du géant américain. Et quand elles sont signalées, rien ne bouge.
le logo de Google se reflétant dans l’œil d’un internaute

Bernard a perdu 30 000 €. Frédéric, plus de 42 000 €. Jean-Pierre, lui, s’est vu délester de plus de… 143 000 € ! Ces lecteurs, comme d’autres, ne récupéreront sans doute jamais leur argent. Leur erreur : avoir cru que les livrets d’épargne qu’ils avaient ouverts en ligne étaient des placements dignes de confiance. Or, il n’en était rien.

Pourtant, lors de leurs requêtes sur Google, ils s’affichaient tout en haut des résultats du moteur de recherche, avec la mention « sponsorisé », aux côtés d’autres établissements réputés. De quoi rassurer nos épargnants. Mais ils ont fait une mauvaise pioche : ces livrets étaient des faux. Les conseillers auxquels ils ont eu affaire aussi. Il s’agissait en revanche de vrais escrocs.

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Sur Google, les escrocs envahissent nos écrans

Leur technique ? Créer un site Internet où figurent les arguments qui font mouche auprès des épargnants en quête d’un bon placement : le capital est garanti, le taux d’intérêt intéressant, les montants placés nets de fiscalité et disponibles à tout moment. Ces arnaqueurs la déclinent avec d’autres placements à la mode : actions (Française des jeux, en particulier), or, cryptomonnaies, investissement dans les Ehpad, les SCPI…

Ensuite ? Les escrocs s’offrent des campagnes publicitaires via Google Ads, la régie de Google. Ils choisissent des combinaisons de mots clés qui déclencheront l’affichage d’une publicité pour leur(s) site(s) frauduleux dès qu’un internaute les recherche. Dans le cas des arnaques financières, cela peut être « livret garanti », « placement sans frais », « placement rémunérateur »…

faux livrets d’épargne mis en avant sur Google

La méthode est diablement efficace, puisque ces pubs surgissent dans tout l’écosystème de Google : le fil d’actualités présent sur les smartphones Android (Discover), son service de mail Gmail, sa plateforme de vidéos (YouTube), ainsi que des milliers de sites web et d’applications mobiles « partenaires ». 60 Millions a par exemple repéré l’une des pubs au faux livret d’épargne lors de l’ouverture de l’application de programmes TV Télé Loisirs.

Nous avons tenté l’expérience de nous faire arnaquer

Ces sites frauduleux ont souvent un point en commun qui doit alerter : un formulaire à remplir pour « tester son éligibilité » ou recevoir une brochure. Entrent alors en scène de faux conseillers qui ferrent leurs proies au téléphone. 60 Millions a tenté l’expérience en laissant ses coordonnées et en indiquant avoir 15 000 € à placer. Nous avons été vite rappelés.

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Au bout du fil, un interlocuteur au sacré bagout se présente : il se dit conseiller en gestion chez Revolut, une banque dont il nous explique que le bureau de Paris, situé dans les beaux quartiers, fourmille de 500 gestionnaires de patrimoine. Son livret va nous rapporter 9 % annuels, voire plus, nets de frais et d’impôt. En réalité, la banque mobile Revolut ne dispose d’aucun bureau à Paris et ne propose pas de placement rémunéré piloté par des gestionnaires. Mais, ça, les victimes l’ignorent.

Quarante minutes d’argumentation plus tard, rendez-vous est pris le lendemain pour formaliser notre investissement. Le margoulin nous fait alors signer en ligne un (faux) contrat à l’en-tête de Revolut, puis nous dirige vers un lien de paiement pour effectuer notre premier versement par carte bancaire.

60 Millions n’a évidemment pas payé. Mais Jérôme, un de nos lecteurs, oui : 500 € par CB pour ouvrir un livret. Heureusement, sa banque a bloqué le virement suivant, jugé douteux. Il demande alors un remboursement à ses interlocuteurs : « Ils ne répondent plus à mes mails ni à mes appels téléphoniques. » Un grand classique : dès que la victime émet un doute ou veut récupérer son argent, les escrocs s’évaporent dans la nature.

65 signalements à Google, zéro réaction !

Pourquoi ces publicités prolifèrent-elles ? Et, surtout, pourquoi Google ne réagit-il pas dès qu’il est informé de leur existence ? Car le géant du Net permet, via un formulaire accessible à tous, de l’alerter de la nature frauduleuse d’une publicité, en cliquant sur les trois points verticaux qui s’affichent sous les pubs et à côté des sites.

60 Millions s’est prêté à une expérience : entre le 19 décembre et le 26 mars, nous avons signalé à Google les publicités malhonnêtes de 3 annonceurs quand elles apparaissaient dans notre fil d’actualités sur mobile. Nous avons reproduit la procédure… 65 fois ! Avant de baisser les bras !

Google n’a donc pas réagi durant trois mois et demi. Les pubs réapparaissant inlassablement. Un fâcheux manque de réactivité qui a laissé en pâture les internautes durant des mois. En revanche, il a fallu que 60 Millions contacte la firme américaine en sa qualité de média et lui transmette des exemples de certaines publicités frauduleuses signalées tant de fois pour qu’elles disparaissent enfin !

 

Preuve d'accusés de réception reçus par mail après des signalements sur Google

Quand la presse appelle, les pubs disparaissent

Faire appel aux médias, c’est ce que s’est résigné à faire Adrien Touati, le co-fondateur de la banque en ligne pour les pros Manager.one. En février dernier, le site de la banque a été copié par des escrocs. Puis la copie a été promue en tête des résultats de recherche de Google grâce aux mots clés publicitaires.

Des clients de Manager.one, croyant se connecter à leur vrai espace personnel, ont saisi leurs identifiants de connexion. Que les pirates se sont empressés d’utiliser. Résultat : des dizaines de victimes se sont manifestées, avec pour chacune un préjudice proche de la centaine de milliers d’euros. Que la banque leur a remboursé.

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Manager.one a pourtant alerté Google via son formulaire de signalement. Et pas qu’une fois. Mais les publicités frauduleuses ont continué à prospérer. C’est un coup fil d’un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP) qui a fait enfin bouger le géant américain. « En voyant l’écho donné à notre histoire, Google a tout de suite réagi en supprimant tous les sites compromettants. Il accorde désormais une attention toute particulière à ce qu’il n’y ait pas de nouveaux résultats frauduleux nous concernant », nous raconte Adrien Touati, qui réfléchit aujourd’hui à lancer une action contre le géant américain.

Je signale, tu signales, il signale…

Cette inertie de Google face aux alertes envoyées par des professionnels et des internautes surprend pour une bonne et simple raison : « Avec ces signalements, la connaissance des faits n’est plus présumée mais établie, obligeant l’hébergeur à réagir, faute de quoi sa responsabilité peut être engagée », explique Me Hélène Feron-Poloni, avocate spécialisée dans la défense des épargnants.

Alors pourquoi rien ne se passe-t-il quand ces tentatives d’escroquerie sont signalées ? Google nous a pourtant réaffirmé, comme lorsque nous l’avions contacté après avoir repéré des publicités pour de faux sites du robot Cookeo de Moulinex, que chacun des signalements des internautes était « examiné manuellement par [ses] équipes ». De quoi nous laisser perplexes…

OK Google, vérifie pour de bon tes annonceurs !

En amont, ça n’est pas mieux. Interrogée, l’entreprise américaine nous dit avoir renforcé depuis le 24 janvier dernier son processus de vérification des annonceurs qui promeuvent des services financiers. Ils sont censés montrer patte blanche en prouvant « qu’ils sont agréés/autorisés par l’organisme de réglementation des services financiers compétent en France, ou qu’ils sont exemptés de ces exigences par le code monétaire et financier français ».

Mais il y a de sacrés trous dans la raquette. Les entreprises des cyberescrocs identifiées par 60 Millions arboraient une « identité de l’annonceur validé par Google » dans leur descriptif, alors qu’aucune n’était agréée par l’un des organismes de réglementation – l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), l’AMF (Autorité des marchés financiers) ou l’ORIAS (Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance). Pire, parmi les sites signalés, l’un figurait même sur la liste noire de l’AMF depuis octobre 2022 ! Et d’autres l’ont rejoint depuis…

Alors, à quand le vrai grand ménage ? Il y a urgence : en 2021, le parquet de Paris estimait le préjudice global des victimes d’escroqueries financières à 500 millions d’euros par an, dont 72 000 € en moyenne pour chaque victime des faux livrets d’épargne.

Sur Google, certaines pubs signalées par nos soins continuent à apparaître, ainsi que de nouvelles. 60 Millions continue à les signaler chaque jour ou presque… sans aucune réaction.

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