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La Cnil ouvre une instruction après des SMS de la campagne Zemmour aux Français de confession juive

Des français appartenant à la communauté juive ont été ciblés par Eric Zemmour à des fins de démarchage politique ce vendredi 8 avril. Une instruction de la CNIL est ouverte.

"Message d’Eric Zemmour aux Français de confession juive." Ce vendredi 8 avril au soir, juste avant la fin de la campagne officielle, un SMS signé du nom du candidat d’extrême droite (qui a obtenu 7,1% des voix au 1er tour de l'élection présidentielle) a été distribué sur des milliers de téléphones mobiles dans l’Hexagone. Il renvoie vers une page éditée par le parti Reconquête, qui affiche un texte explicitement adressé aux Français juifs.

Le long texte, qui revient notamment sur le problème de l’antisémitisme en France, vise les “racailles” qui “pourrissent la vie” des juifs et le terrorisme islamiste. Il précise par ailleurs les positions du candidat Reconquête concernant la vie quotidienne d’une partie de la communauté juive, notamment son opposition à l’interdiction de l’abattage rituel.

Le SMS redirigeant vers la déclaration d'Eric Zemmour destinée à la communauté juive, hébergée sur le site ez2022.fr
Le SMS redirigeant vers la déclaration d'Eric Zemmour destinée à la communauté juive, hébergée sur le site ez2022.fr © BFMTV

Un courtier de données sollicité

Interrogé par BFMTV, l’un des responsables de la campagne assure que ce démarchage politique a été mis en place à l’aide d’un “broker”, un courtier en données personnelles, qui achète des bases de données pour les agréger, puis les vendre ou les louer. L’identité de ce courtier n’a pas été dévoilée.

Pour cibler la communauté juive, la même source indique que l’équipe d’Eric Zemmour a demandé au “broker” de cibler des personnes ayant montré un intérêt pour “le sujet de l’antisémitisme en France et en Europe” en s’appuyant sur des données récoltées par des blogs, sites d’information ou newsletter traitant spécifiquement de ce sujet.

Techniquement, ce proche d’Eric Zemmour assure que le candidat n’a donc pas acheté ou établi de base de données désignant explicitement des Français comme “juifs”.

Toujours auprès de BFMTV, l’équipe de campagne d’Eric Zemmour précise avoir organisé une précédente campagne afin de toucher spécifiquement la communauté catholique. Pour cela, le candidat avait fait parvenir une lettre au domicile de certains électeurs, dans laquelle il évoquait le sort de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Elle précise avoir reçu l’assurance par son prestataire que les personnes visées avaient donné leur accord pour que leurs données soient partagées avec des tiers à des fins de communication politique, par exemple lors de la souscription à des newsletters associées selon les cas à une population catholique ou juive.

Auprès de BFMTV, l’équipe d’Eric Zemmour annonce avoir envoyé “une dizaine de milliers” de SMS ce vendredi 8 avril au soir à destination de la communauté juive.

La CNIL ouvre une instruction

Interrogée par BFMTV, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) confirme avoir reçu des signalements, avoir ouvert une instruction sur ce démarchage et être en contact avec l’équipe d’Eric Zemmour.

Auprès de BFMTV, une dizaine de français se revendiquant de confession juive ont déclaré avoir reçu ce SMS, regrettant le fait d’être ciblés selon leur religion.

Pour rappel, l’usage d’une base de données associant des individus à leur religion dans le cadre d’un démarchage politique est interdit par le droit français.

“Il est interdit d’effectuer des traitements sur les données personnelles qualifiées de sensibles. La confession religieuse est une donnée sensible donc elle est hors du champ des traitements, au même titre que les données de santé, l’origine raciale ou l’appartenance syndicale, d’après l’article 9 du RGPD. S’il existait une base de données des Français de confession juive utilisée dans ce cadre, ce serait totalement illégal” rappelle Me Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique.

De telles pratiques exposeraient le candidat à une amende de la Cnil pouvant grimper à 20 millions d’euros, ainsi que cinq ans de prison et 300.000 euros d’amende.

Mais même sans constituer ou posséder directement une telle base de données, la simple utilisation d’un fichier loué à un courtier en données, comme le revendique l’équipe d’Eric Zemmour, pourrait poser un problème juridique dans ce cadre.

“Pour les autorités compétentes, le sujet sera désormais de savoir si la sélection d’une base de données basée sur l’intérêt pour l’antisémitisme menant à la diffusion d’un message visant explicitement la communauté juive pourront faire entrer cette campagne dans le cadre d’un démarchage politique basé sur la religion et donc constituer une infraction” analyse Me Oriana Labruyère, avocate spécialisée dans le numérique et fondatrice du cabinet La Robe Numérique.

De précédentes collectes douteuses

En mettant de côté la portée religieuse du traitement de ces données, la simple revente ou location de ces informations personnelles à une équipe de campagne aurait dû faire l’objet d’un mail spécifique de la part des sites ou services qui ont récolté les données initiales à destination des internautes concernés.

“Pour résumer, toutes les personnes ayant reçu ce SMS doivent normalement avoir donné leur accord pour être contactées par l’équipe d’Eric Zemmour (par exemple par le biais d'un mail, NDLR) dans la mesure où il s'agit d'une finalité spécifique”, explique Me Oriana Labruyère.

Au cours de la campagne, les équipes d'Eric Zemmour ont déjà utilisé ces techniques de démarchage direct: ils ont ainsi fait parvenir des messages vocaux sur les répondeurs d’une partie des électeurs, sans prendre les précautions préconisées par la Cnil. Ils ont également collecté des adresses mail par le biais de pétitions, en imposant aux internautes l'inscription aux newsletters du candidat.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co