Influenceurs régulés : « Gare aux dégâts collatéraux », alerte Jean Massiet
TRIBUNE. Le streamer et chroniqueur Jean Massiet alerte sur les dégâts que pourrait créer l’encadrement de l’activité des influenceurs.
Voici sa tribune : « Vidéaste et influenceur depuis plusieurs années, je commente et décrypte l’actualité politique sur ma chaîne Twitch et j’explique le fonctionnement des institutions. Je suis aux premières loges pour voir les pouvoirs publics se saisir de la question de la régulation des contenus en ligne et c’est peu dire que je suis inquiet. Une régulation mal calibrée pourrait étouffer l’expression citoyenne sur Internet.
Depuis quelques mois, en effet, les projets de régulation se bousculent, tant à Bruxelles qu’à Paris, pour encadrer les prises de parole en ligne : citons la proposition de loi française sur les influenceurs ou le règlement européen sur les publicités politiques. Si chaque proposition vise un objectif tout à fait légitime, ce pavement de bonnes intentions risque de mener tout droit en enfer et de former un cocktail empoisonné pour notre démocratie.
Tout d’abord se dessine la volonté de créer des statuts officiels pour les influenceurs comme pour les médias, à rebours d’un siècle et demi d’histoire du droit de la presse et de la liberté d’expression. Une fois identifiés, et donc contrôlés, les médias et les influenceurs bénéficieront de plus en plus de droits particuliers et seront exemptés de certaines contraintes. Petit à petit, un Web citoyen à deux vitesses va se mettre en place, avec ceux qui ont un statut et ceux qui n’en ont pas.
Un encadrement mal calibré pourrait étouffer la parole citoyenne en ligne
Ensuite, la réglementation va se pencher sur les contenus diffusés en ligne. Là aussi, que d’intentions louables : qui peut s’opposer à la lutte contre l’influence avérée de la Russie dans les campagnes électorales ? Seulement voilà, le règlement européen actuellement en cours d’adoption sur le sujet projette de définir ce qu’est une publicité politique avec un champ bien trop large. Ainsi serait concernée toute prise de parole portant sur un sujet de société en débat devant un Parlement, ou dans un processus électoral, dans n’importe quel pays de l’Union européenne. Une quantité astronomique de contenus tombant sous le coup de cette définition se verront ainsi interdits de « recommandation » par les algorithmes des plateformes.
Une campagne municipale en Lituanie ? Hop, plus de vidéos recommandées par YouTube sur la circulation à vélo dans les villes. Un référendum sur l’immigration en Italie ? Hop, la prise de position de la fondation Abbé Pierre sur l’hébergement des réfugiés passe à la trappe. Une loi en discussion au Bundestag sur l’écologie ? Hop, Facebook fait discrètement disparaître les discussions sur le sujet.
Autant dire que je n’ai aucune confiance en Amazon, Google, Facebook ou TikTok pour faire preuve de subtilité lorsqu’il s’agira de choisir entre nos débats citoyens et leur sécurité juridique.
Les seules exceptions prévues dans le règlement sont la communication des gouvernements et les médias. Il est possible que demain les influenceurs dûment enregistrés puissent également bénéficier d’exemptions. Voilà qu’il faudra avoir les bons papiers pour pouvoir s’exprimer en période de campagne électorale et espérer être entendu. C’est juste la fin de la parole citoyenne en ligne. Si les anciens bien installés comme moi réussiront sans doute à s’en sortir, qu’en est-il des nouveaux arrivants ? Ils ne pourront pas percer et se faire connaître.
Les dirigeants politiques doivent prendre conscience des effets secondaires nuisibles que peuvent avoir leurs propositions. Certes, Internet et les réseaux sociaux contiennent le pire comme le meilleur, mais attention : en voulant éliminer le pire, on risque de tout éradiquer et de revenir à une parole politique contrôlée. Ce serait dramatique pour notre démocratie. »
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