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"Des prédateurs partout": sur Vinted et Le Bon coin, les vendeuses face au harcèlement sexuel

Sur Vinted et Le Bon coin, des vendeuses dénoncent le harcèlement sexuel de certains utilisateurs.

Sur Vinted et Le Bon coin, des vendeuses dénoncent le harcèlement sexuel de certains utilisateurs. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Les sites de vente de vêtements d'occasion tels que Vinted ou encore Le Bon Coin sont le théâtre de harcèlement sexuel. Des femmes victimes de chantage, messages malveillants ou sexualisants témoignent de leur "ras-le-bol" à BFMTV.com.

"Très sexy", "cette robe vous va à ravir", "quel corps magnifique!" Les commentaires de ce type, Élodie ne les supporte plus. À chaque fois qu'elle met en vente de nouveaux vêtements sur les plateformes comme Vinted ou Le Bon Coin, elle reçoit des messages non sollicités d'hommes, souvent à connotation sexuelle.

"Dès que j'ai le malheur de porter une robe, une jupe ou un t-shirt près du corps, je reçois des messages pour me dire à quel point je suis 'voluptueuse' ou 'sensuelle'", résume-t-elle.

"Je ne sais pas ce qui leur passe par la tête mais c'est insupportable", déplore la jeune femme de 27 ans, qui a pris l'habitude de répondre systématiquement à ses harceleurs avant de les bloquer et de les signaler à la plateforme.

Faux comptes, fétichisme et photos non consenties

Cette habitante de Rennes raconte qu'à plusieurs reprises, elle a même été insultée et accusée de chercher ce genre de remarques. "Aguicheuse!", "désolé mais votre photo laisse transparaître une sensualité sans équivoque", lui a-t-on déjà répondu en essayant de la faire culpabiliser.

Maréva est également habituée aux messages inappropriés sur Vinted. "Beaucoup d'hommes prennent cette plateforme pour un site de rencontre", confie cette étudiante messine de 24 ans. "Si certains assument leur identité, ce sont bien souvent des comptes sans activité, sans photo, créés spécialement pour aller parler aux femmes de manière déplacée et qui font semblant de s'intéresser aux articles."

Des faux comptes qui se font passer pour des acheteuses potentielles pour, au bout du compte, obtenir des photos. "Souvent, on me demande de voir (les vêtements) portés, ce que je refuse toujours et ils sont parfois insistants", raconte la jeune femme.

"On m'a déjà demandé d'envoyer une photo de moi portant le t-shirt blanc moulant que je vendais 'sans soutif' pour voir s'il était transparent ou pas", raconte Élodie.

Blasée, Maréva explique avoir aussi parfois affaire à des fétichistes "avec des demandes en tout genre et des propositions de prix plus élevés que le prix initialement fixé". "Cela peut vous paraître étrange et peu habituel mais j’aimerais que vous portiez cette culotte avant de me l’envoyer, je comprendrai si vous ne voulez pas, je peux vous proposer un meilleur prix bien entendu", a-t-elle par exemple reçu.

Comme bon nombre d'utilisatrices, il est aussi arrivé à Élodie de recevoir des photos non sollicitées. "Je ne sais pas si on peut se rendre compte que des femmes doivent subir des nudes non consentis MÊME SUR VINTED", écrivait mi-janvier une internaute sur X (ex-Twitter), accompagné d'une capture d'écran d'un homme torse nu.

Captures d'écran de conversations d'Élodie avec un internaute à la recherche de photos de jeunes femmes.
Captures d'écran de conversations d'Élodie avec un internaute à la recherche de photos de jeunes femmes. © Élodie

"Même sur ce terrain-là, ils viennent nous sexualiser"

À force, Alexia n'ose même plus vendre ses tenues légères et maillots de bain en ligne. "Je m'autocensure un peu. C'est triste mais je l'ai fait deux fois pour des vêtements d'été, j'ai reçu des salves de messages pour me dire à quel point 'mon corps était magnifique, que j'étais sublime'", témoigne cette professeure des écoles de 26 ans, installée dans la Marne.

"Tu t'es cru sur Tinder?", leur répond alors systématiquement Alexia, hors d'elle. "Je ne me prive jamais de les rembarrer parce que ça me met profondément en colère qu'ils fassent ça sans aucune gêne, surtout sur des sites qui n'ont strictement rien à voir avec ça. Ça devient lourd... Ils se croient prédateurs partout."

"C'est ça le problème", abonde Élodie. "On est sur un terrain qui ne les concerne en rien à la base, mais même là les hommes s'octroient le droit de venir nous sexualiser ou de nous faire peur."

Selon les témoignages des vendeuses, des hommes usent des mêmes stratagèmes sur Le Bon coin pour piéger les utilisatrices. Fatma a ainsi été victime de chantage pendant plusieurs mois alors qu'elle n'était encore qu'adolescente.

"Très jolie votre robe", lui envoie d'abord un acheteur potentiel, qu'elle pense être une femme. Avant de lui demander si elles peuvent continuer d'échanger sur WhatsApp afin qu'elle lui fournisse plus de précisions sur la tenue traditionnelle marocaine qui était mise en vente.

Tentatives d'intimidation

Dans un premier temps, "elle a l'air intéressée par l'article, on convient d'une date à laquelle elle pourrait venir récupérer... et je fais l'erreur de donner mon adresse", se souvient la jeune femme.

"À un moment, elle m'envoie une courte vidéo de femme dont on ne voit pas le visage mais on voit qu'elle est debout en sous-vêtements, de face, de dos. Elle se tourne de droite à gauche", raconte-t-elle. "Elle me demande si je peux faire la même chose pour voir si le vêtement lui irait et pour comparer nos corpulences".

Bien qu'elle trouve ça louche, l'adolescente - elle a 17 ans à l'époque - envoie tout de même quelques vidéos. Quand les messages pour avoir de nouvelles images deviennent plus insistants, Fatma comprend que son interlocutrice était en fait un interlocuteur. "Je ne sais pas comment j'ai pu me faire avoir à ce point-là", regrette aujourd'hui cette femme, qui se décrit à l'époque comme "jeune et naïve".

"Une fois qu'il a réalisé que j'avais compris son jeu, il a changé de ton et a commencé à m'insulter, me donner des ordres, me faire du chantage", explique la jeune femme, aujourd'hui dans la vingtaine.

"J'étais terrifiée", explique-t-elle. "Il me disait que si je ne lui envoyais pas de nouvelles photos, il enverrait les premières à mon père et à mes oncles qu'il disait avoir trouvés sur Facebook ou qu'il les diffuserait sur les réseaux (sociaux)".

Pendant plusieurs mois, l'adolescente reçoit des coups de fils incessants, des menaces et autres tentatives d'intimidations. Pour l'effrayer, son harceleur va jusqu'à lui envoyer des captures d'écran de sa bibliothèque d'images de téléphone, remplie de photos de jeunes femmes dénudées dans des positions similaires à celle qu'il lui avait demandé de prendre.

Ce harcèlement cessera au bout de quelques mois, lorsque Fatma décidera de bloquer l'ensemble des numéros de cet individu, une fois son compte signalé à Pharos - une plateforme policière qui permet aux internautes de rapporter des contenus ou des comportements illicites.

Vinted dit ne tolérer "aucune forme de harcèlement"

Contacté par BFMTV.com, Le Bon Coin n'a pas donné suite à nos sollicitations. De son côté, Vinted France assure ne tolérer "aucune forme de harcèlement ou de comportements inappropriés sur la plateforme" et "mettre tout en œuvre pour créer un environnement sûr et assurer la meilleure protection possible à (ses) membres".

"Les membres peuvent nous signaler rapidement et facilement tout problème via la plateforme", avant un examen "au cas par cas". "Tout contenu jugé indécent, haineux ou illégal est alors immédiatement supprimé", promet l'entreprise. "Nous pouvons également prendre des mesures à l'encontre du membre à l’origine de ce contenu, pouvant aller jusqu'au blocage définitif de son compte."

Vinted précise aussi qu'elle encourage "dans certains cas" les victimes "à s'adresser aux forces de l'ordre". Et d'ajouter: "Nous sommes prêts à coopérer avec celles-ci lorsqu'elles nous contactent". Dans ce cas précis de harcèlement, Fatma n'a pas souhaité déposer plainte.

Des captures d'écran pour porter plainte

Me Tom Michel, avocat pénaliste au barreau de Paris spécialisé dans les questions de cyberharcèlement, recommande vivement aux victimes de le faire, "même si on a parfois l'impression que ça représente beaucoup d'efforts pour pas grand chose".

"Ça tombe sous le coup de la loi pénale. On voit de plus en plus de véritables condamnations, à des peines symboliques certes, pour des faits de cet ordre là", précise-t-il.

Certains faits peuvent alors être caractérisés comme "injure privée", ce qui est condamnable d'un an d'emprisonnement et 45.000 d'amende, ou comme "harcèlement" à partir du moment où il y a un envoi de messages répétés (supérieur à deux). Une infraction pénale passible de 5 ans de prison et 75.000 euros d'amende.

L'avocat précise également qu'il est important de signaler les comptes aux plateformes, afin qu'elles puissent éventuellement remonter à la justice les informations en leur possession. Avant d'aller porter plainte, Me Tom Michel invite les victimes à se munir de captures d'écran des conversations problématiques, de préférence avec l'heure permettant de situer les faits.

Les quatre jeunes femmes interrogées soulignent en tout cas que ces événements, loin d'être des cas isolés, ont pour conséquence de créer un climat d'"insécurité" voire de "terreur" pour les femmes en ligne. Depuis, deux d'entre elles ont arrêté de vendre leurs vêtements sur internet, et une autre a préféré retirer sa photo de profil.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV