La guerre en Ukraine peut-elle précipiter la fragmentation de l'Internet ?

La Russie a adopté fin 2019 une loi lui permettant de mettre en place un "Internet souverain" baptisé Runet. La guerre menée actuellement par la Russie en Ukraine pourrait contraindre le pays à mettre en place ces mesures, se coupant du reste du monde. Des réseaux fermés similaires sont déjà déployés en Chine et en Iran, ce qui conduit peu à peu à une fragmentation de ce grand réseau de réseaux, pensé à l'origine pour être un maximum interopérable.

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La guerre en Ukraine peut-elle précipiter la fragmentation de l'Internet ?

La bataille de l'Internet fait-elle rage ? Entre la censure, les demandes de blocage de certains sites et les craintes autour de coupures d'Internet, une partie de la guerre menée par les russes en Ukraine se joue en ligne. Fera-t-elle émerger Runet ? Ce fameux "Internet souverain" russe, évoqué depuis plusieurs années déjà, serait en grande partie fermé au reste de "l'Internet mondial", comme les systèmes déjà mis en place avec succès par la Chine et l'Iran pour contrôler ce qui se passe en ligne.

A la demande de l'Union européenne, les plateformes numériques comme YouTube, Twitter, Facebook, Instagram et TikTok limitent l'accès à certains organes de propagande russes au sein de l'Union européenne. Les Etats membres souhaitent également bloquer tout simplement l'accès aux sites web de Russia Today (RT) et Sputnik. En Russie, à l'inverse, le gouvernement cherche à limiter l'accès à ces grandes plateformes. Une guerre d'information et de désinformation est menée par le Kremlin qui bloque aussi l'accès à certains sites. L'infrastructure permettant de mettre en place "Runet" est-elle prête ?

L'arsenal législatif russe est prêt
La Russie s'est dotée d'une loi, baptisée 'Sovereign Internet Bill', pour instaurer un Internet souverain fin 2019. Elle instaure les moyens juridiques et techniques pour mettre en place Runet et autorise le gouvernement à couper l'accès à Internet à tout moment à condition de justifier d'un cas d'urgence. C'est rendu possible en raison de l'obligation faite aux fournisseurs d'accès à internet (FAI) de mettre en place les moyens techniques pour contrôler les données circulant sur le réseau et d'en donner les commandes à l'agence Roskomnadzor, l'équivalent russe du CSA français.

Cette loi prévoit également la création d'une infrastructure assurant le fonctionnement des ressources Internet russes en cas d'impossibilité pour les opérateurs russes de connecter aux services Internet étrangers.

Enfin, cette loi permet au Kremlin d'établir son propre registre de nom de domaines (DNS) de premier niveau. Par ce biais, le pays peut se détacher de l'Icann, la société de droit californien à but non lucratif qui s'occupe de déléguer la gestion de ces noms de domaines, et qui est accusée par la Russie d'être sous l'influence de Washington. En théorie, les opérateurs Internet russes avaient l'obligation d'utiliser ce registre dès 2021. Moscou n'a pas communiqué sur l'état d'avancement de ce registre. Toutefois, le pays aurait déjà testé à plusieurs reprises son "réseau souverain".

Des tests concluants de Runet et des sites bloqués
Dès la fin de l'année 2019, Runet aurait été testé une première fois avec succès. De nouveaux essais visant à isoler la Russie du reste d'Internet auraient été menés avec succès durant l'été 2021, a rapporté Reuters suite à des informations de la RBC. Les principaux fournisseurs d'accès à Internet étaient impliqués lors de ces tests. Toutefois, l'agence de presse précisait ne pas savoir combien de temps les déconnexions ont durée, ni si des répercussions ont eu lieu sur le trafic réseau.

La Russie est-elle effectivement parvenue à mettre au point Runet ? Le Kremlin est resté très discret sur les tests réalisés. A noter, comme le relève le site Meduza, que le ralentissement de Twitter en 2021 (demandé par Roskomnadzor en raison de la non-suppression d'un contenu jugé illégal) a conduit à d'importantes perturbations sur l'Internet russe. Le site du Kremlin a même été rendu inaccessible.

Toutefois, de nombreux sites d'informations sont aujourd'hui bloqués et l'accès aux réseaux sociaux comme Twitter et Facebook est fortement ralenti. Avec son arsenal législatif adopté avec le Sovereign Internet Bill, le Kremlin peut bloquer des sites diffusant des "fake news" ou tout message qui offenserait "la société, les représentants du pouvoir et les symboles de l'Etat". Les sites d'information en ligne risquent ainsi de se voir infliger une amende allant de 30 000 roubles (400 euros) à 1 million de rouble (13 400 euros) pour diffusion "sous couvert d'informations vérifiées, de fausses informations susceptibles d'avoir un écho social significatif".

Un texte qui lui permet de limiter les informations diffusées quant à la guerre en Ukraine. Les termes de guerre et d'invasion ne peuvent pas être utilisés. De nombreux sites occidentaux et russes ont déjà été bloqués. Mais ils restent accessibles en cas d'utilisation d'un VPN. Cela montre qu'il s'agit plus d'une politique de filtrage en masse que d'un véritable réseau séparé.

Starlink aide l'Ukraine
L'Ukraine aurait demandé à l'Icann par e-mail de bloquer les DNS russes, ce qui reviendrait à rendre tous les sites russes inaccessibles au reste du monde, rapporte Rolling Stone. La suppression de l'accès de la Russie aux serveurs de noms de domaines de premiers groupes, empêcherait les FAI russes de communiquer avec les systèmes extérieurs qui connectent les internautes aux sites web. Le pays pourrait réellement être coupé d'Internet.

Même s'il semble peu probable que l'Icann réponde favorablement à cette demande (si elle est officialisée), cela permettrait de savoir si Runet est vraiment au point. Une telle sanction irait également dans le sens d'une fragmentation d'Internet. Est-ce vraiment le bon moyen de lutter contre les fakes news et la désinformation ? Une telle décision semble plutôt conduire à l'isolement de la population russe, ce qui ne serait pas nécessairement pour déplaire au régime authoritaire de Vladimir Poutine.

A l'inverse, l'Ukraine craint fortement que la Russie ne lui coupe l'accès à Internet si ses troupes parviennent à accéder aux data centers clés du réseau. Afin de pallier cette éventualité, les satellites de Starlink, la filiale de SpaceX qui propose un accès à Internet par satellite, ont été positionnés de façon à offrir une couverture Internet au pays et des terminaux ont été acheminées dans le pays. Le ministre ukrainien en charge du numérique en avait appelé à Elon Musk, qui a rapidement fait le nécessaire.

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